Soins de santé primaires au Bénin : des pistes pour repenser la médecine de proximité
Soins de santé primaires au Bénin : des pistes pour repenser la médecine de proximité

Dans sa thèse de doctorat soutenue le 9 décembre en Belgique, Dr Kéfilath Bello remet la médecine de première ligne au cœur des débats sur l’avenir du système de santé béninois. Ses travaux ont bénéficié du soutien de la Direction générale de la Coopération au Développement et de l’Aide Humanitaire (DGD) de Belgique, de l’Institute of Tropical Medicine d’Anvers, de la KU Leuven et du Centre de Recherche en Reproduction Humaine et en Démographie (CERRHUD).

Plus de médecins en première ligne signifie-t-il automatiquement de meilleurs soins pour la population ? Interrogée sur cette question, Dr Bello répond que c’est « possible en théorie et au regard de la littérature sur les médecins de soins primaires qui sont souvent retrouvés en première ligne du système de soins ». Cependant, nuance-t-elle, il faut d’abord comprendre qui sont réellement ces médecins, ce qu’ils font concrètement, avec quelles ressources et pour quels résultats. Dans un contexte multi-acteurs et avec des défis en matière de qualité des soins, quelle est la plus-value de ces médecins ? Le système de santé est-il capable d’intégrer harmonieusement leurs pratiques ?

Ces questions trouvent des réponses dans sa thèse, co-encadrée par Prof. émérite Bart Criel, Prof. émérite Jan De Lepeleire, Prof. Djimon Marcel Zannou et Dr Ludwig Apers, et dont le jury de soutenance a été présidé par Prof. Steven Lierman. « Dans ce travail, nous avons analysé les pratiques des médecins de soins primaires au Bénin et déterminé les meilleures stratégies pour soutenir leur contribution à des soins primaires de qualité et à une prise en charge efficace basée sur la philosophie des soins de santé primaires (SSP) », explique la chercheuse.

Qui sont-ils ces médecins et comment améliorer leur performance ?

L’étude s’est attachée à décrire les différents types de pratiques des médecins de soins primaires en Afrique subsaharienne, à réaliser une cartographie approfondie des pratiques de ces médecins dans quatre zones sanitaires au Bénin et à proposer une typologie. Les facteurs susceptibles de soutenir la performance de ces médecins de soins primaires ont également été identifiés.  Sur la base de ces résultats, un cadre de politique  a été co-construit avec les parties prenantes, afin d’orienter et de renforcer les pratiques des médecins de soins primaires au Bénin et en Afrique.

La revue de portée menée a été particulièrement utile pour mieux comprendre les pratiques et mettre en lumière plusieurs lacunes, tant sur le plan de la recherche que des politiques publiques. Dr Bello souligne trois points clés. « Premièrement, les pratiques des médecins de soins primaires sont hétérogènes à travers le continent, et même au sein d’un même pays. Deuxièmement, la gouvernance de ces pratiques demeure sous-optimale, marquée par l’absence d’un cadre de gouvernance clair dans la plupart des pays. Troisièmement, les médecins de première ligne n’atteignent pas pleinement leur potentiel, avec probablement des performances insuffisantes en matière de soins de santé primaires », explique-t-elle.

Au travers des cartes

À partir d’une cartographie détaillée de 155 médecins exerçant en première ligne de soins dans quatre zones sanitaires du Bénin, la chercheuse met en lumière une réalité complexe. « L’analyse a révélé quatre groupes de médecins exerçant en première ligne : les médecins généralistes du secteur privé (plus de 60 % de l’échantillon), les médecins généralistes du secteur public, les médecins généralistes communautaires (MGC) et les spécialistes. Après analyse, il a été conclu que bien qu’ils exercent en première ligne, le groupe des spécialistes ne pouvait pas être considéré comme des médecins de soins primaires.

Cette cartographie a également montré que les médecins de première ligne contribuaient dans une certaine mesure à l’amélioration de la qualité des soins dans les formations sanitaires de première ligne. Mais plusieurs problèmes ont aussi été relevés. Pour la plupart des médecins, la pratique des soins primaires est perçue comme une option par défaut, peu valorisante. Des problèmes de gouvernance ont été identifiés, notamment l’absence de contrats de travail formels chez une bonne partie des médecins et le manque d’accès aux ressources. « L’étude a confirmé qu’il n’existait pas de directive politique spécifique encadrant les pratiques des médecins de soins primaires au Bénin et que l’accès aux ressources était limité », ajoute-t-elle.

La pandémie de COVID-19 n’a pas seulement éprouvé le système de santé : elle a aussi mis en évidence la capacité d’adaptation des médecins de soins primaires et confirmé leur potentiel pour améliorer la prise en charge des populations en première ligne de soins.

Que faire ?

Les médecins de première ligne ont un potentiel réel pour améliorer les soins primaires, mais de nombreux défis freinent ce potentiel. Il est donc crucial d’améliorer leurs pratiques. L’originalité majeure du travail réside surtout dans la co-construction d’un cadre de politique, élaboré avec les acteurs du système de santé eux-mêmes pour guider la pratique des médecins de soins primaires.

Lors d’un atelier organisé à Cotonou en 2022, médecins, autorités sanitaires, chercheurs et représentants communautaires ont défini ensemble ce que devrait être un véritable médecin de soins primaires au Bénin et les outils à lui fournir pour avoir de l’impact.

Salué par un jury international, ce travail se veut un outil d’aide à la décision, à l’heure où de nombreux pays africains cherchent à renforcer leurs systèmes de santé à partir de la base.

« Nous espérons qu’il servira de boussole pour les décideurs. Les analyses montrent qu’investir dans les soins primaires ne se résume pas à augmenter les effectifs médicaux. Il s’agit de donner un sens, une structure et une reconnaissance à celles et ceux qui soignent au plus près des populations ». Parce que la santé commence là où vivent les gens.