Alors qu’une récente étude montre que les Ouest-Africains présentent un risque élevé de maladie rénale, une sociologue béninoise se pose des questions sur les trajectoires des patients souffrants d’insuffisance rénales chroniques à Cotonou. Les réponses contenues dans une thèse soutenue le 7 octobre 2025 à l’Université d’Abomey-Calavi.

Les va-et-vient entre le Centre national hospitalier universitaire (CNHU) et son domicile deviennent épuisants, moralement et financièrement, pour Éric, 42 ans. « Je vis entre deux mondes », murmure-t-il, appuyé sur sa béquille. Pour lui, chaque séance de dialyse est à la fois un combat contre la mort et un acte de foi. Il n’est pas prêt à abandonner.
L’insuffisance rénale, c’est quand les reins ne fonctionnent plus correctement. Ils ne parviennent plus à filtrer le sang ni à éliminer efficacement les déchets et l’excès d’eau de l’organisme. Cette défaillance entraîne divers symptômes : fatigue extrême, œdème, difficulté à respirer et parfois incapacité totale à uriner. Les principales causes sont le diabète et la tension artérielle élevée (hypertension).
A la clinique universitaire de néphrologie-hémodialyse de Cotonou, des centaines de patients reçoivent chaque semaine des soins et des séances de dialyse. Derrière ces statistiques se dévoile une réalité profondément humaine, animée à la fois par la foi, la résilience et une quête et une quête constance de sens et de rationalité face à la maladie. Dans sa thèse de doctorat, Dr Armelle Akouavi Vigan explore justement cette dimension de la maladie.
Intitulée « Pertinence sociale et rationalités autour de l’insuffisance rénale chronique à Cotonou (Bénin) », la recherche apporte un éclairage inédit sur la manière dont les malades réinventent leur identité face à l’épreuve de la maladie.
« Dans notre pratique du quotidien par exemple, nous constatons qu’il y a pas mal de demande de soins, et pas mal d’échec à cause de toutes les contraintes de la prise en charge biomédicale. Avec les documents nationaux, on constate que cette pathologie évolue de jour en jour car l’insuffisance rénal chronique n’est rien d’autre que la complication issue de l’une ou des deux maladies à savoir l’hypertension et ou du diabète », explique Dr Armelle Akouavi Vigan, sociologue.

Des questionnements en Afrique de l’Ouest
Ces travaux interviennent dans un contexte où de nouvelles données du Kidney Disease Research Network montrent un risque élevé pour les populations ouest africaines. L’étude a porté sur 8 355 participants au Ghana et au Nigeria, dont 4 712 atteints d’une maladie rénale de gravité variable et 2 777 sans maladie rénale.
Les travaux ont confirmé que l’origine génétique sous-tend le risque accru de développer une maladie rénale chez les Africains noirs, quel que soit leur lieu de résidence. Ils établissent pour la première fois, un lien entre le gène APOL1 et la maladie rénale chronique en Afrique subsaharienne, rapportent les auteurs dans The Conversation.
Dans son étude à elle, Armelle Vigan s’intéresse à la faible observance thérapeutique biomédicale. Ces données montrent qu’il ne s’agit pas d’une négligence, mais parce que leurs parcours de soins sont éclatés entre médecine moderne, traditions et spiritualité. Elle a donc conduit une enquête qualitative auprès de patients, médecins, familles et responsables religieux.
Des trajectoires de soins plurielles
Au début, la plupart des malades suivent l’itinéraire médical classique. Elle s’exprime avec les soins au niveau du dispensaire et avec le système de référence, le patient atterri au CNHU de Cotonou, où sa trajectoire démarre au niveau du service des urgences. Une fois par le biais d’une série de bilan, la pathologie est confirmée avec l’implication du service de néphrologie, et à partir de ce moment, le patient interagit avec plusieurs autres.
À la clinique de néphrologie-hémodialyse de Cotonou, la prise en charge des patients se heurte à des obstacles dont les contraintes financières. Ces difficultés poussent certains à recourir à des soins alternatifs ou spirituels. Il existe, explique-t-elle, deux grands types de parcours thérapeutiques. Le parcours biomédical, celui des hôpitaux, des bilans et de la dialyse, encadré par des médecins spécialisés. Puis, le parcours traditionnel et spirituel, nourri de prières et de croyances autour du malheur et de la guérison divine.
« Ces deux logiques ne s’opposent pas toujours, souligne la sociologue. Les patients naviguent entre elles selon leurs moyens, leurs valeurs et leur espérance. Ce n’est pas un refus de la médecine, mais une adaptation. Le patient compose avec plusieurs univers de sens, en fonction de sa compréhension de la maladie et de sa foi », souligne la chercheure.
L’Insuffisance rénale chronique, nommée localement adɔ ma hu zɔ̃n, qui signiefie “maladie qui empêche d’uriner ”, devient un espace de recomposition identitaire. Des associations de patients s’y mobilisent pour soutenir moralement les malades et sensibiliser le public. Pour certains, la clinique n’est plus seulement un lieu de soins, mais un espace de vie et de recomposition identitaire. Les témoignages recueillis. « Ma maladie m’a conduite à l’église de la Vision Divine. Là-bas, j’ai trouvé de la force. Les fidèles m’envoient des messages de prière. C’est ce qui me maintient. ».
Pour d’autres, la maladie est perçue comme une épreuve spirituelle, voire une conséquence du “destin”, de la sorcellerie ou d’une faute morale. Les objets de piété, les prières et les rituels coexistent avec les prescriptions médicales. « Chaque patient réinvente sa manière d’être au monde. Derrière la souffrance, il y a une force de vie que la science doit apprendre à écouter », note Dr Armelle Akouavi Vigan. La santé publique doit tenir compte de la culture des patients, sans quoi la confiance entre soignants et patients se trouve fragilisée.

